Chapitre IV Parallèle

Publié le par Lux

Telle fut cette fameuse controverse. Ceux qui la rappellent aujourd'hui paraissent ignorer ce qu'on a dit et écrit avant eux sur ce sujet : tant ils sont faibles en preuves, en citations et en raisonnements ! De même que les régicides anglais, ils citent l'Ecriture Sainte à l'appui de leur doctrine ; mais ils la citent vaguement, ou parce qu'ils la connaissent peu ou parce qu'ils sentent qu'elle ne leur est pas favorable. Les auteurs de la mort de Charles étaient pour la plupart des fanatiques de bonne foi, des chrétiens zélés qui, abusant du texte sacré, tuèrent leur souverain en conscience ; mais parmi nous, ceux qui font valoir l'autorité de l'Ecriture dans une pareille cause ne pourraient-ils pas être soupçonnés de joindre la dérision au parricide, de vouloir, par des citations tronquées, mal expliquées, troubler le simple croyant, tandis que pour eux-mêmes ces citations ne seraient que ridicules ? Employer ainsi l'incrédulité à immoler la foi ; justifier le meurtre de Louis XVI par la parole de Dieu, sans croire soi-même à cette parole ; égorger le roi au nom de la religion pour le peuple, au nom des lumières pour les esprits éclairés ; allumer l'autel du sacrifice au double flambeau du fanatisme et de la philosophie, ce serait, il faut en convenir, une combinaison nouvelle.

 

 

Si les régicides anglais étaient, comme nous venons de le dire, des fanatiques de bonne foi, ils avaient encore un autre avantage. Ces hommes, couverts du sang de leur roi, étaient purs du sang de leurs concitoyens. Ils n'avaient pas signé la proscription d'une multitude d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards ; ils n'avaient pas apposé leurs noms, de confiance , au bas des listes de condamnés, après des noms très peu faits pour inspirer cette confiance. Pourtant ces hommes qui n'avaient pas fait tout cela étaient en horreur : on les fuyait comme s'ils avaient eu la peste, on les tuait comme des bêtes fauves. Qu'il était à craindre que cet effrayant exemple n'entraînât les Français ! Et cependant, que disons-nous à certains hommes ? Rien.

 

 

Ils jouissent de leur fortune, de leur rang, de leurs honneurs. Comme le roi, nous ne leur eussions jamais parlé de ce qu'ils ont fait, s'ils n'avaient été les premiers à nous le rappeler, à se transformer en accusateurs ; et ils osent crier à l'esprit de vengeance ! Craignons plutôt que la postérité ne porte de nous un tout autre jugement, qu'elle ne prenne cette admirable facilité de tout pardonner pour une indifférence coupable, pour une légèreté criminelle ; qu'elle ne regarde comme une misérable insouciance du vice et de la vertu ce qui n'est qu'une impossibilité absolue de récriminer et de haïr.

 

 

Les Anglais qui firent leur révolution étaient des républicains sincères : conséquents à leurs principes, les premiers d'entre eux ne voulurent point servir Cromwell ; Harrison, Ludlow, Vane, Lambert, s'opposèrent ouvertement à sa tyrannie, et furent persécutés par lui. Ils avaient pour la plupart toutes les vertus morales et religieuses ; par leur conviction, ils honorèrent presque leur crime. Ils ne s'enrichirent point de la dépouille des proscrits. Dans les actes de leur jugement, lorsque le président du tribunal fait aux témoins cette question d'usage : " L'accusé a-t-il des biens et des châteaux ? " La réponse est toujours : " Nous ne lui en connaissons point " Harrison écrit en mourant à sa femme qu'il ne laisse que sa Bible [ Trial of the Reg . (N.d.A.)] .

 

 

Tout homme qui suit sans varier une opinion est du moins excusable à ses propres yeux ; un républicain de bonne foi, qui ne cède ni au temps ni à la fortune, peut mériter d'être estimé, quand d'ailleurs on n'a à lui reprocher aucun crime.

 

 

Mais si des fortunes immenses ont été faites ; si, après avoir égorgé l'agneau, on a caressé le tigre ; si Brutus a reçu des pensions de César il fera mieux de garder le silence ; l'accent de la fierté et de la menace ne lui convient plus.

 

 

" On ne pouvait rien contre la force. "

 

 

- Vous avez pu quelque chose contre la vertu !

 

 

On donne une singulière raison de la mort de Louis XVI : on assure qu'il n'était déjà plus roi lorsqu'il fut jugé ; que sa perte était inévitable, que sa mort fut prononcée comme on prononce celle d'un malade dont on désespère.

 

 

Avons-nous bien lu, et en croirons-nous nos yeux ? Depuis quand le médecin empoisonne-t-il le malade lorsque celui-ci n'a plus d'espérance de vivre ? Et la maladie de Louis XVI était-elle donc si mortelle ? Plût à Dieu que ce roi, que l'on a tué parce qu'il n'y avait plus moyen de contenir les factions, eût été la victime de ces factions mêmes ! Plût à Dieu qu'il eût péri dans une insurrection populaire ! La France pleurerait un malheur ; elle n'aurait pas à rougir d'un crime.

 

 

Vous assurez " que si les juges qui ont condamné le roi à mort se sont trompés, ils se sont trompés avec la nation entière, qui, par de nombreuses adresses, a donné son adhésion au jugement. Les gouvernements étrangers, en traitant avec ces juges, ont aussi prouvé qu'ils ne blâmaient pas le meurtre de Louis. "

 

 

Ne flétrissez point tous les Français pour excuser quelques hommes. Peut-on sans rougir alléguer les adresses de ces communes gouvernées par un club de Jacobins et conduites par les menaces et la terreur ? D'ailleurs, un seul fait détruit ce que l'on avance ici. Si, en conduisant le roi à l'échafaud, on n'a fait que suivre l'opinion du peuple, pourquoi les juges ont-ils rejeté l'appel au peuple ? Si Louis était coupable, si les voeux étaient unanimes, pourquoi, dans la Convention même, les suffrages ont-ils été si balancés ? La haute cour qui condamna Charles le condamna à l'unanimité. La France vous rend le fardeau dont vous voulez vous décharger sur elle ; il est pesant ! mais il est à vous, gardez-le.

 

 

" Les nations étrangères ont traité avec vous ! " Ce ne fut point au moment de la mort du roi. L'assassinat de Louis, du plus doux, du plus innocent des hommes, acheva d'armer contre vous l'Europe entière. Un cri d'indignation s'éleva dans toutes les parties du monde : un Français était insulté pour votre crime jusque chez ces peuples accoutumés à massacrer leurs chefs, à Constantinople, à Alger, à Tunis. Parce que les étrangers ont traité avec vous, ils ont approuvé la mort du roi ! Dites plutôt que le courage de nos soldats a sauvé la France du péril où vous l'aviez exposée en appelant sur un forfait inouï la vengeance de tous les peuples. Ce n'est point avec vous qu'on a traité, mais avec la gloire de nos armes, avec ce drapeau autour duquel l'honneur français s'était réfugié, et qui vous couvrait de son ombre.