L'État (Charles Maurras)

Publié le par Lux


La famille fonde l'État puisque, d'une part, la population n'existe que par elle, et que, d'autre part, c'est elle qui distingue la société politique des autres : société qui ne se recrute point par la volonté de ses membres, mais normalement par voie de génération, société où l'on naît et se reproduit. Je suis membre de l'État français à cause de mon père, de ma mère et de leurs parents. Je puis ratifier ou décliner cette condition, je ne la crée pas, et c'est elle qui me crée. Les enfants adoptifs qui s'agrègent par d'autres voies à la grande, famille française ne le font que parce qu'il y a un premier État français, famille de familles, engendré naturellement.


Toute doctrine de l'État dispensateur et distributeur dé droits sera dissoute par cette simple observation que la société, tant spirituelle que temporelle, est antérieure, tant logiquement qu'historiquement, à l'État.


L'État et la société sont choses distinctes. La société commence à la famille, sa première unité. Elle se continue dans, la commune, l'association professionnelle et confessionnelle,' la variété infinie des groupes, corps, compagnies et communautés, faute de quoi toute vie humaine dépérirait. L'État n'est qu'un organe, indispensable et primordial, de la société.


L'État, quel qu'il soit, est le fonctionnaire de la Société.


L'État, quand il est bien institué, n'a presque pas affaire aux individus. C'est sur les sociétés dont il a la charge, et c'est aussi sur leurs rapports mutuels, que s'exercent ses principaux attributs : seuls les criminels, avec les héros et les saints, personnalités d'exception, ont des rapports avec l'État qui a le droit de connaître ces anomalies, ou pour les honorer, ou pour les châtier. Ajoutons à la liste des personnes en commerce direct avec l'État, le petit nombre des fonctionnaires, y compris les armées de terre et de mer. Pour tout le reste, un État normal laisse agir, sous son sceptre et sous son épée, la multitude des petites organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant lui et qui ont chance de lui survivre, véritable substance immortelle de la nation.

Dans ces sphères distinctes, douées de privilèges aussi variés que leurs fonctions, se développera, non l'introuvable « Individu »qui n'y fleurit ni tous les vingt cinq ans, ni tout les cent ans, ni jamais, mais la faune et la flore humaines des individus différents, bien nourris de leur territoire, préservés par cet air de leur classe et de leur pays, et stimulés aussi par l'atmosphère des groupes facultatifs auxquels leur honneur, leur intérêt ou leur plaisir les a régulièrement agrégés.

Du « cercle » de petite ville à l'Institut de France, il y a une série de groupes. L'individu y trouve des droits proportionnés à son rang et à ses services, à sa dignité et à sa valeur. Ainsi le moindre de nos compatriotes est il privilégié du destin. Riche ou pauvre, il est patricien puisqu'il participe à la noble qualité de Français et qu'il jouit ainsi des puissantes prérogatives et de l'immense patrimoine matériel et moral mis gratuitement à sa disposition par tout ce qu'ont fait ses aïeux.

De leur oeuvre immémoriale, entretenue et continuée par la tradition, découlent toutes les vertus, toutes les valeurs individuelles dont la nature n'avait fourni que le germe : la volonté, la liberté, le sentiment, la raison au degré où la société française a su élever tout cela. Fleur de la culture française, l'individu français n'en est certainement ni le principe, ni le but, ni la racine, ni le fruit.


Les souvenirs, les haines, les amours que les simples particuliers ne peuvent entretenir de façon constante, un État les prend à son compte, il en tient registre, registre qu'il met à jour de manière à exercer tous les droits, à soutenir tous les intérêts, à poursuivre tous les devoirs qui y sont relevés. Dans un État normal, les émotions publiques ne sont pas de simples coups de sensibilité, balayés, remplacés au premier vent contraire : elles deviennent la matière et la substance d'actes utiles, elles servent à recouvrer et à restaurer ce qui a pu être perdu par la communal,


La raison d'État


La raison d'État est dans la nature des choses. Mais tant vaut un État tant vaut sa raison.

La raison d'un État placé au dessus des partis s'inspire des nécessités supérieures de l'existence de la nation.

Un État créé par les partis, ballotté entre les partis, n'a d'autre raison que celle qu'il peut avoir : elle est courte, bornée, successive, contradictoire. Elle couvre les intérêts particuliers au lieu de défendre les intérêts généraux.


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