Fatal engrenage

Publié le par Lux

 

   Encore une fois, le numéro de “POLITIQUE MAGAZINE” est d’une grande qualité.

La couverture annonce la crise du CPE comme un “engrenage fatal”.

L’éditorial constate: “il n’y a plus d’autorité” et “aucune décision politique d’importance ne peut plus être prise en France”.
Hilaire de CRÉMIERS va plus loin.

 

Tout ce qui est arrivé était prévisible.

 

par

          Hilaire de Crémiers

 

       ( Politique Magazine n° 40 Avril 2006 )

 

 

 

   C'en est donc fait : le CPE a vécu.  C'était prévisible. À l'heure où  s'écrit cet article, dès avant la journée du 28 mars, « le mardi noir », qui sera suivie inéluctablement d'autres journées non moins sombres, et avant même que le Conseilconstitutionnel ne se soit prononcé le jeudi 30 mars sur sa conformité aux règles fondamentales, le CPE n'a déjà plus d'existence.

 

   Qu'on se souvienne : dès la semaine du 20 au 25 mars et aussitôt après la journée et la nuit d'émeutes du 23, il était évident que ce projet nouveau-né, à peine mis au monde au forceps, ne durerait guère plus de quelques jours. Il avait déjà du mal à vivre hors des normes socialistes habituelles ; même le grand patronat apeuré craignait pour ses jours ; et ce n'était autour de lui que hurlements de mort.

 

La liberté impossible

 

   Et voilà que le Premier ministre lui-même, son fier géniteur qui l'avait concocté en secret, accouché, qui l'avait amené à h vie légale en l'imposant par la procédure d'urgence du 49-3, dès le vendredi 24 mars, se chargeait, en personne, sur la pression de la rue, de le vider de sa substance, sans le dire et tout en le disant, et tout en le maintenant envie artificiellement, pour la forme et par souci de son autorité et, peut-être, de son honneur.

 

    Dominique de Villepin, l'homme qui en principe ne transige pas et qui affirmait haut et fort qu'il n'était pas question de dénaturer le projet, faisait savoir, en effet, le samedi 25 mars, après consultation auprès de son président, qu'il avait entendu le cri public et qu'il acceptait de modifier dans la loi les principales dispositions qui en faisaient, pourtant, l'originalité et l'utilité pratique :  les deux ans de liberté contractuelle qui permettaient à l'employeur, sans être accablé par le Code du Travail, d'ajuster son embauche à ses besoins et qui donc l'incitaient à embaucher. Et à embaucher qui ? Précisément : des jeunes.

 

   Eh bien, non ! Il s'est avéré que c'était  impossible. La plus simple des libertés qui est celle de vivre, de travailler et de contracter n'existe plus dans notre pays. Ça se savait : l'Etat, la loi, l'idéologie ambiante qui inspire tous nos codes, la rogne de tous les côtés.  Cette contre-épreuve par l'échec d'une loi de liberté censée libérer de la loi totalitaire, en est une confirmation éclatante. C'est donc acquis et, dans le système, de manière définitive, comme un droit acquis à l'esclavage permanent. De la même façon qu'il est acquis déjà pareillement, que les libertés de naître, de se marier et de mourir naturellement ne sont plus que des libertés précaires, soumises à conditions. Car, il convient de le préciser pour les nigauds qui parlent sans savoir, ce qui est précarisé en France, c'est d'abord et fondamentalement la liberté, les vraies libertés, ce qui entraîne toutes les autres précarités dont celle de l'emploi. La licence de ne rien faire n'est pas une liberté ou, sinon, ne parlons plus de civilisation. Ainsi, le rabâchage officiel et médiatique sur les causes d'une précarisation incontestable et catastrophique va au rebours de l'évidence. Ce qui n'empêche qu'il faut tout aussitôt ajouter qu'il appartient à juste titre à l'État national de veiller au bien commun et à l'équilibre social des libertés particulières, fonction que le Leviathan moderne ne remplit plus, s'étant même désolidarisé de ce qui est sa raison d'être, la cause nationale.

 

    Et voici comment la liberté contractuelle qui n'est dégradante pour personne, au contraire, et surtout pas pour des jeunes en dépit de ce que racontent des démagogues intéressés, à peine légalisée, n'a pu survivre dans l'univers soviétique français, univers totalement surfait, qui se caractérise simultanément par une anarchie galopante et un totalitarisme envahissant, individualisme déréglé et socialisme massifiant faisant, somme toute, chez nous, comme toujours, fort bon ménage. Contraint par l'évidence du rejet qui lui éclatait au nez, le Premier ministre aura fait lui-même les premiers pas d'un compromis devant des adversaires bien décidés, eux, à ne pas démordre de leur position irréductible et avantageuse : c'était à lui à retirer purement et simplement sa loi ; pour esquiver l'humiliation, il proposait d'en remiser les singularités et de la ramener - ou peu s'en faut - au droit commun étarico-démoaatique, c'est-à-dire terriblement contraignant pour les parties en contrat.

 

La contrainte du système

 

       La démonstration est dès aujourd'hui faite. Dominique de Villepin, malgré ses grands airs, n'y a rien pu et n'y pourra rien.   Le CPE, au moment où s'écrivent ces lignes, est déjà mort et il est plus que vraisemblable qu'au moment où les lecteurs liront ces  mêmes lignes, ils auront reçu l'avis de son décès sous une forme ou sous une autre : soit par  syndicats interposés, première source de  toute légitimité démocratique en France, comme chacun sait, soit plus simplement encore par la rue dont le rôle constitutionnel de facto et ensuite de jure est non seulement incontestable mais fondamental dans notre République puisqu'elle fait et défait la loi, les ministres, les gouvernements, et cela depuis deux cents ans sans relâche quoi qu'en dise ce pauvre dadais de Jean-Louis Debré, soit encore par la voix doucereuse et chafouine du Conseil constitutionnel qui aura aidé à le tuer ou, plus subtilement, qui lui aura retiré les conditions de sa survie, soit par le président de la République soi- même, expert en coups de menton et en reculades concomitantes tout aussi énergiques, soit par le Premier ministre en personne qui aura avalé son orgueil jusqu'au gosier et qui chargera ses ministres de faire une apai-sante communication sur le sujet.

 

    Quel que soit le scénario, quels reproches pourrait-on adresser à ce joli monde ? Ils vivent dans un système qui les domine et les entraîne dans sa mécanique, dans un sens comme dans un autre, sans même qu'ils en aient vraiment conscience. Voyez les : ils comprennent sans comprendre et veulent sans vouloir. Et, au fond, tout ça est du dernier ridicule. Voilà un homme, Villepin, qui se flattait en cent jours de rétablir la confiance et qui traitait tous les autres de « connards ». Où en est-il réduit aujourd'hui ?   Ouvrira-t-il les yeux sur son échec ? Car il  aura échoué sur un point dérisoire, quelque chose de minime, au point que ses compagnons et ses faux amis ne veulent pas périr dans la même stupide campagne. Cela peut se comprendre.

 

      Telle est la politique dans le système français : ses adversaires lui ont demandé de retirer une bretelle, puis l'autre, puis de laisser couler son pantalon, puis de retirer le reste :  à poil, comme on dit, et, comme ils n'ont aucune vergogne, ils en rient. Les voyez-vous rire, puis prendre des airs pinces, toute cette bande de jocrisses ? Oui, jocrisses, tous,  puisque l'affaire se retournera, bientôt et aussi bien, contre eux !

 

 

Une totale irresponsabilité

 

     D'ailleurs, est-ce la faute de Villepin ?   L'homme est bravache et manque totalement de jugement. Soit ! Cela a été écrit bien avant les événements, dans ces colonnes, mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas de l'humilier par plaisir ; il s'agit de comprendre que le problème de l'inertie française est dans le système.

 

     Quel avenir s'annonce pour Villepin et son gouvernement dans cette année pré-électorale ? Peut-être sera-t-il contraint de démissionner sous peu ? Ou, s'il reste, quels jours affreux devra-t-il vivre ? Oui, tel est le système. Au moins, après la cruelle expérience, que l'homme le voie, le constate, le palpe. Cela, après tout, le disculpe, les disculpe tous. Raffarin, finalement, n'a pas mieux fait que Juppé. Il a fini, comme c'était prévisible,  dans le personnage du Rabourdin de Balzac,  ainsi que ce fut écrit, en son temps, dans ces colonnes, Rabourdin, l'homme de la réforme administrative qui, étant donné le système,  échoue nécessairement. Villepin, croyant  mieux faire que RafFarin-Rabourdin, se voyait en Rastignac ou en Marsay, ces hommes qui chez Balzac partent à la conquête des ministères. Hélas, il n'aura été qu'un pitoyable Tartarin ; ce n'est même plus du Balzac, c'est du Daudet. Terrible leçon, aurait dit Bossuet.

 

    Tout était prévisible. Tout s'est toujours répété de la même façon depuis 1986, depuis le projet de loi d'Alain Devaquet – projet retiré, ministre démissionné - et, à vrai dire, depuis 1968. Même scénario, mêmes manœuvres, même résultat. Que sont les syndicats étudiants ? Rien ou quasi rien ? Et les syndicats de salariés ? Pas grand chose par rapport aux employés. On peut le regretter : c'est ainsi. Ce qui prouve qu'en France il y a un vrai problème de représentativité et donc de représentation, aussi bien sur le plan économique et social que sur le plan politique. Ce qui est sûr,  en revanche, c'est que ces institutions non représentatives tiennent des places fortes dans la République qui les fait vivre et bien vivre, par l'exercice de quasi monopoles. Elles ont un intérêt évident à la survie du système et elles savent pertinemment que les politiciens seront, d'une manière ou d'une autre, leurs complices dans le partage des combinaisons de ce mêmes système. À moins que l'homme politique soit un vrai homme d'État !  Y en a t-il seulement un ?

 

    Qu'on fasse le compte sur les vingt dernières années, du nombre de fois où toute tentative de réforme a t annihile ? E toujours sur le mme schéma ! Il suffit de fermer des facultés et des lycées et de jeter dans la rue des étudiants et des lycéens préalablement excités et le tour est joué. Et les AG, dira-t-on ? Il suffit d'avoir vécu, un tant soit peu, dans le monde étudiant pour savoir ce que sont en réalité ces farces juridiques menées par des professionnels de l'agitation qui n'ont rien  perdre. Aucune majorité réelle n'est concrètement derrière ces hurlements de bandes.   Des professeurs, des recteurs courageux le savent et le disent. Il suffirait d'être un peu astucieux pour les mettre en échec.  La difficulté est que d'ordinaire ces gens ne sont pas courageux. Pourquoi le seraient-ils, à l'encontre d'un système qui broie toutes les élites ?

 

    Le tort essentiel de Villepin, dans l'affaire, fut, tout en prétendant passer en force, de n'avoir pris aucune précaution d'avance. On aurait presque envie de proposer des stages  tous ces énarques et tous ces aventuriers de la politique qui dirigent la France et qui donnent l'impression de ne savoir concrètement rien. Maintenant que les casseurs s'en mêlent, que les forces de police vont se trouver de plus en plus dispersées, que des espaces entiers de la République leur échappent, que vont-ils faire ? Malgré tout ce qu'ils disent, ils n'ont aucune solution, puisque le système, leur système, ne leur en offre aucune et, bien au contraire, est le fomenteur direct de cette longue chienlit.

 

    Tous y passeront les uns après les autres, quels qu'ils soient. C'est pourquoi les rivaux  de Villepin, déclarés ou cachés, feraient bien de ne pas trop se réjouir. Ce qui lui est arrivé, leur arrivera à leur tour. Inéluctablement. Etant qu'ils n'auront pas compris ou, mieux, voulu comprendre que c'est ce système qui les empêche d'agir, il n'y aura pas  grand chose à espérer. Hélas, leur attention va rarement dans cette direction ; elle est tout entière ailleurs, à la prochaine réélection qui, pour eux, commande tout et les ramène dans le système fatal. En attendant, ce néfaste système tue les unes après les autres toutes leurs réformes. Et, plus sûrement encore, il tue la France.

 


Politique Magazine

7, rue Constance  75018 Paris

www.politiquemagazine.fr

 

Publication mensuelle

Abonnement 1 an : 58 Euros.

 

Publié dans Pensée politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article